lundi 12 mars 2012

Attente

Je suis assise sur un banc.
Je suis sage.
Ma maman a dit de l’attendre ici.
Je regarde les pigeons manger dans l’herbe.
Ils se battent pour une miette plus grosse que les autres.
Je me demande si la maman pigeon serait contente de voir ça.
Elle a dû leur apprendre à être bien élevés et à attendre sagement leur tour, quand ils étaient petits mais ils n’ont pas l’air de s’en souvenir.
Ça doit être difficile d’être une bonne maman, même pigeon.
Juste derrière les pigeons, des enfants jouent sur les balançoires.
Ils rient, ils montent haut, très haut, si haut que les cheveux blonds de la petite fille brillent dans les reflets du soleil.
C’est beau!
On dirait que c’est une princesse avec sa robe rose à volants.
J’aimerais bien une robe comme celle-là, mais maman dit que c’est trop cher et que nous n’avons pas d’argent pour des bêtises.
J'attends.

Une dame passe avec sa poussette.
Elle a de grand yeux verts qui sont rivés sur son enfant.
Elle se penche en gazouillant et ça me donne envie de sourire.
Moi j’ai les yeux gris et les gens disent toujours que j’ai l’air triste.
S’ils le disent c’est que ça doit sûrement être vrai.
Je crois que j’ai toujours été comme ça.
Parfois papa passe son doigts entre mes sourcils et me dit que si je continue à être aussi sérieuse, je vais avoir la ride du lion.
Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais j’aimerais bien être un lion pour que tout le monde me caresse et m’admire en disant “Regardez le beau lion!”
J'aimerais bien qu'on m'admire autant que le lion du zoo.
J'attends.

Une autre petite fille s’est assise sur la balançoire.
Son visage est parsemé de taches de rousseur mais c’est joli.
Sa chevelure rousse semble prendre feu dans la lumière du soleil couchant.
Ça doit être comme la crinière du lion de la ride.
Je voudrais bien avoir des beaux cheveux comme ça, mais les miens sont juste marrons.
La petite fille rousse s’en va avec sa maman.
L’heure du goûter doit être passée parce qu’il n’y a presque plus personne.
Je voudrais bien y aller aussi, mais maman a dit d’attendre ici, de ne pas bouger, d’être sage.
Je suis sage. 
Je ne bouge pas.
J’attends.

Comme il n’y a plus personne dans le square, je regarde les feuilles mortes soulevées par le vent.
Elles font des tours et des tours, s’envolent et retombent plus loin.
On dirait des oiseaux à qui leur maman n’aurait pas bien appris à voler.
Ça doit être triste d’être une feuille, de voir la vie de si haut et de retomber pour mourir.
Papi dit que c’est ce qui va tous nous arriver mais je ne comprends pas.
Est-ce que les humains doivent monter en haut d’une échelle pour mourir?
Je demanderai à maman quand elle reviendra.
J'attends.

Le parc s’est assombri, il doit être tard.
Je ne vois presque plus rien, alors je me raconte des histoires toute seule.
Quand je serai grande, j’écrirai des livres avec pleins d’histoires dedans, pour lire quand on a peur ou qu’on est triste.
Ça seraient des livres qui rassurent et qui tiennent chaud.
Les petites filles comme moi qui attendent leur maman seraient bien contentes de l’avoir, parce que maintenant j’ai un peu froid.
Nous allons être en retard pour dîner.
J’espère que maman revient bientôt.
J'attends.

Il fait nuit.
J’ai très froid.
Je serre mon manteau autour de moi.
Ma respiration fait des petits nuages.
Maman ne reviendra pas.
J'attends quand même.