jeudi 15 septembre 2011

Couleurs

Les couleurs dansent autour de moi.
Elles font la ronde, elles tourbillonnent et m’entraînent, à toute vitesse et de plus en plus vite…
Plus aucun son n’arrive à mes oreilles.
J'ai encore du m’endormir et rêver que je pouvais voir.
Le silence noir.

Je dois être seule dans la pièce car je n’entends absolument rien, même la poussière tombe en silence maintenant.
Je pense vraiment que c’est le noir.
On m’a lu un livre où il était question de théorie des couleurs : c’est leur longueur d’onde qui fait qu’elles sont perçues par l’oeil de telle ou telle manière.
C’est étrange de parler de longueur, et je ne comprends pas très bien ce qu’est une onde. Il parait que c’est comme les ronds que fait l’eau quand on jette un caillou dedans. Peut-être. Mais moi de l’onde et du caillou je n’ai que le « plouf » et ce n’est pas avec ce bruit que j’arrive à me faire une idée de ce que je devrais voir.
Voir.

Un frisson vert me parcourt l’échine.
J’ai froid. Le froid aussi doit être vert puisqu’on le classe toujours dans les couleurs « froides ».
Pourquoi ai-je froid comme ça ?
Je me décide à parcourir le sol du bout des doigts.
Effectivement c’est ce qu’on appelle du carrelage, et c’est froid.
C’est le même sous tout mon corps, ce qui me permet de supposer que je suis allongée par terre. Je me demande bien pourquoi.
Comme le vert me reprend, plus marqué que la première fois, je décide de me relever. Je tâte d’abord l’air pour vérifier qu’aucun obstacle caché ne va se jeter à ma tête quand je me relèverai.
C’est agréable de se relever, le bruissement du tissu me confirme que mes oreilles sont en parfait état.
Il ne manquerait plus que ça, perdre mes oreilles! Sauf si, en échange, je pouvais voir...

« Où suis-je ? » est la grande question du jour, celle que je n’arrête pas de me poser.
Je me mets à quatre pattes et commence à ramper droit devant moi, précautionneusement. Je voudrais éviter de m’assommer.
Je sens les jointures entre les carreaux et je les compte en avançant.
Je sens petit à petit un léger souffle d’air chaud sur mon visage.
Je tends les mains en avant et rencontre effectivement une poignée.
Mes doigts parcourent le métal et j'en devine les reflets comme si la lumière avait une quelconque réalité pour moi ou mes yeux morts.
Porte ou fenêtre ? C’est étrange car elle n’est pas dans le sens habituel. Mon frère a sans doute encore inventé un autre gadget pour moins se fatiguer qui rend mes voyages dans la maison de vrais parcours du combattant.
Si vous croyez que c’est simple, quand on doit toucher pour comprendre, de s’habituer à une maison en changement perpétuel ! Surtout que la plupart du temps, ses inventions ont des mécanismes compliqués et les informations que je récolte au toucher m’embrouillent encore plus sur le fonctionnement de l’engin…
J’ouvre pour savoir quel sorte d'ouverture se trouve devant moi.
Encore plus étrange qu’auparavant ! La taille correspond bien à une fenêtre, mais elle pivote vers moi, vers le bas, et non sur le côté.
Mon frère a décidément des idées bien étranges sur le fonctionnement des objets quotidiens.
Enfin ce n’est rien à côté du jour où il a bricolé un siège éjectable sur la voiture de maman, « En cas d’accident, tu es sortie illico de la voiture, pas de soucis, pas besoin d’attendre les pompiers ». On dit toujours une colère noire, j'ai trouvé celle de maman plutôt rouge, ce jour-là. « Espèce d’imbécile, et je suis éjectée, comme ça je m’assomme au mieux ou je me brise quelque chose, en retombant ! » Penaud, il a démonté le mécanisme…
Bien vu, l'artiste!

Une fois la fenêtre ouverte, je sens une odeur étrange. Ça sent bon, mais ce n’est pas une fenêtre que je cherche, c’est une porte.
Elle devrait se trouver de l’autre côté de la pièce.
Je ne la trouve pas.
Je fais le tour de la pièce en longeant les murs, mais je reviens à la fenêtre.
Je passe la tête par la fenêtre, qui me semble bien étroite. Elle s’ouvre sans doute en deux morceaux, maintenant, un vers le haut, un vers le bas, mais comme je n’ai jamais été que le moinillon de la maison, ce détail est sans importance.
Je respire l’air à pleins poumons et j’en reste grisée.
Depuis combien de temps suis-je donc enfermée pour qu’un peu d’air me fasse cet effet-là… ?
Je m’adosse au mur devant la fenêtre et me laisse aller à des visions violettes.
Je vois.

Je vois des petites flammes bleues comme un soupir danser devant moi sans s’arrêter, et dans leurs rondes folles, elles m’envolent avec elles dans des éclats de rire orangés.
Doucement, elles s’élèvent de plus en plus haut, et je ne peux pas les suivre. Je les appelle, mais bientôt il ne reste que le silence blanc de mon univers vide qui peut à peu se teinte de jaune.
Le jaune de l'envie, la jalousie de tous ceux qui peuvent voir les vraies couleurs et les vraies flammes, le relief et les ombres, enfin les gens normaux, ceux qui ne sont pas réduits à voir avec les mains et avec les oreilles…
La voix de ma mère me tire de ma rêverie, je l’entends m’appeler, puis j’entends le déclic de l’interrupteur, et une intense chaleur m’envahit, si forte qu’elle devient douleur, je crois que je fonds.
Je ne fais plus qu'un avec le mur, je suis lui, il est moi, puis je sombre dans le néant.


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Une explosion de gaz survenue mercredi dans un immeuble de Levallois-Perret a fait un mort et un blessé grave. La victime, une adolescente de 16 ans, tuée dans l'explosion, n’avait laissé aucun message faisant état de ses intentions.

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